Avant l'aurore

Nathan Nicholovitch, 2015, France, DCP, version originale multilingue sous-titrée français, 105', 16/16 ans

LU à 21:00

Description

«Le Cambodge et son histoire pris comme un laboratoire du monde», c'est par ces mots, ceux de Nathan Nicholovitch, que Cédric Lépine titre l'interview du réalisateur qu'il publie sur le blog de Mediapart à l'occasion de la présentation cannoise de «De l'ombre il y a» en 2015. C'est dans l'ombre justement que le film emportera ce titre avec lui, celle qui le couvrira durant trois ans, pour réapparaître enfin, fraîchement travesti sous le nom d'«Avant l'aurore».

Extrait de l'interview de Nathan Nicholovitch: «En 2012, j'ai fait un premier voyage au Cambodge accompagné de David d'Ingéo et Jeff Goin - respectivement comédien et chef opérateur - tous deux amis de longue date. Nous avions travaillé ensemble sur mon précédent film, «Casa Nostra» (ACID Cannes 2012) et nous avions dans l'idée - sans savoir encore de quoi il serait fait - de faire un court métrage durant notre séjour. À mon arrivée à Phnom Penh, j'ai pris la ville de plein fouet... Ses odeurs, sa langueur, son chaos... Des enfants en guenilles mendiaient, des hommes dormaient sur leur mototaxi, des grand-mères regardaient dans le vide. Une animation foisonnante qui, brutalement, au détour d'une rue, faisait place au vide et à l’obscurité - des appartements aux fenêtres aveugles - comme des traces de Phnom Penh vidé de ses habitants en avril 1975. Rapidement, j'ai évidemment découvert le quartier de River Side et ses carrefours voués à la prostitution. Des centaines de filles attendaient, criaient, racolaient…  En miroir, des hommes grisés par le pouvoir que ce spectacle leur donnait, venaient compléter ce tableau de fête et de mort. Je ne m'étais jamais figuré la prostitution aussi distinctement. Je me mis en contact avec ces filles des bars. Dans un anglais sommaire, elles me parlaient de leurs conditions de travail, de leur rapport aux hommes, à l'argent, à l'alcool... Beaucoup d'entre elles étaient très jeunes, déjà mères. Leur salaire nourrissait leur famille demeurée souvent loin de Phnom Penh. Je mesurais combien le "clan" est la seule assurance de survie : pas de services publics, pas d'État de droit, pas de justice. La majorité de ces filles espéraient une rencontre qui pourrait améliorer leur existence. Toutes semblaient jongler entre pulsion de vie et un destin sacrifié. Les Khmers m'apparaissaient autant dans la précarité de leurs conditions d'existence que dans une immense pulsion de vie, avec ce besoin vital de s'éloigner des années de guerre, de se précipiter même vers des comportements, des envies et des idées issues du capitalisme occidental. En face, partout dans le pays, des Blancs en mission humanitaire apparaissaient dans une position de grande puissance, tant par leur pouvoir d'achat que par leur bonne conscience. D’autres Blancs étaient installés là pour affaires, venus investir dans le secteur du tourisme et de la restauration. D'autres encore, jeunes ou vieux baroudeurs, plus ou moins riches, fuyaient l'Occident pour, au mieux se la couler douce, au pire s’abîmer dans l'alcool et les amphétamines. C'est en cheminant dans ces univers avec David et Jeff, et au fil de nos rencontres, que s'est écrit et réalisé «No Boy» (Festival International de Clermont-Ferrand 2013). Ce court métrage retrace les pérégrinations de Ben, un quadragénaire Français échoué au sud du Cambodge. Cet endroit - dont il ne parle ni la langue, ni ne comprend les codes – va lui donner la possibilité de se repenser et de glisser progressivement vers son désir de se travestir... Il va devenir Mirinda. La naissance de ce personnage et son cheminement cinématographique à travers le Cambodge sont devenus la base d'écriture de «De l'ombre il y a».

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