Cœurs cicatrisés

Radu Jude, 2016, Roumanie/Allemagne/Suisse, DCP, version originale roumaine sous-titrée français, 141', 16/16 ans Avant-première

Samedi 5 octobre à 20:30

Description

«Cœurs cicatrisés» est un geste ample, ambitieux et généreux, qui regorge d’idées. Inspiré librement de l’oeuvre du poète Max Blecher, il s’articule autour de quatre flux antagonistes qui convergent tous vers un même point. Le premier flux, ce sont les extraits de l’oeuvre de Blecher qu apparaissent ponctuellement à l’écran en guise de raccord. Désespoir, détresse, angoisse, les vers de Blecher insistent sur la petitesse relative de l’humain, son insignifiance dans le cours de l’histoire, son isolement, la noirceur qui envahit inexorablement chaque particule de son existence. Des mots qui écrouent Blecher à son malheur, l’enserrent dans un tourment qui semble inextricable. Le deuxième flux, qui s’oppose au premier, est le personnage de Blecher lui-même (Emanuel dans le film), tel qu’il apparaît dans «Cœurs cicatrisés», c’est à dire espiègle, facétieux, amoureux, optimiste mais lucide, transpirant la vie malgré le buste plâtré qui le maintient cloué au lit. Ce Blecher, qui traverse le film comme une présence magnétique, conjure la lassitude du premier flux et redonne vie, à travers son corps mutilé, à son oeuvre et son environnement. Le troisième flux, c’est le contexte social, qui jaillit ici et là à travers les conversations des patients, à la radio, dans les journaux. Un contexte violent, marqué par la montée d’Hitler en Allemagne, des milices fascistes en Roumanie, de la guerre totale aux portes, et qui touche particulièrement Blecher, de confession juive, victime des moqueries de ses camarades d’hôpital et esseulé (exception faite de sa maîtresse Solange) dans ses prises de position anti-fascistes. S’oppose à cela la mise en scène de Jude, dont les multiples vignettes, comme extirpées de leur cadre, rend au film une quiétude, une sécurité au milieu de ce bouillonnement imprévisible, une occasion de penser les plaies et apaiser la douleur devant ce déferlement d’horreur et d’affliction. Cet hôpital n’est pas seulement une occasion de guérir les corps meurtris de Blecher et ses compagnons, mais de faire la paix avec le passé, retisser les liens brisés, confronter le temps d’avant pour refaire jaillir les mots au présent, leur redonner leur force et leur sens. Les deux derniers plans de «Cœurs cicatrisés», consolident la convergence de ces quatre flux. La vie, la sienne au moins, a compté, peu importe ce qu’on en dira. – Frédérik Pesenti, fauxraccord.net