Monos

Alejandro Landes, 2019, Colombie, DCP, version originale espagnole et anglaise sous-titrée français et allemand, 102', 16/16 ans

Archives 2020

Description

Jeune cinéaste repéré à Sundance et Cannes, Alejandro Landes signe là un second long métrage fascinant, évoquant la guerre civile qui ravage son pays depuis soixante ans.

«Monos» reste toutefois très allu­sif sur le contexte politique. Au sommet d’une montagne, on découvre un escadron de huit adolescents chargés de veiller sur une otage américaine. Ils appartiennent à une mystérieuse ­Organisation et reçoivent leurs ordres de son Messager – un nain, qui entraîne la trou­pe. ­Paramilitaires ou guéril­leros, peu importe. Idem pour leurs ennemis, en écho à un conflit complexe où s’affrontent militaires, miliciens, FARC et narcotrafiquants. Refusant de choisir un camp, le réalisateur alterne aussi les points de vue des enfants-soldats et de leur otage. L’intérêt du film est ailleurs, dans la déroute meurtrière de ces gamins qui jouent à la guerre, à la fois cruels et innocents, bourreaux et victimes.

La situation dégénère dès lors que les adolescents se retrouvent ­livrés à eux-mêmes. Rivalités, jalousies amoureuses, bévues et trahisons vont mettre à mal la fragile cohésion du groupe, qui se replie bientôt dans la jungle. Échappant à l’autorité de l’Organisation, les monos sombrent alors progressivement dans la folie et la violence. Leur dérive «au cœur des ténèbres» charrie évidemment de nombreuses réminiscences d’«Apocalypse Now», mais par sa thématique, le film dialogue surtout avec «Sa Majesté des mouches» (1963), adaptation du roman de William Golding par Peter Brooke, où des enfants échoués sur une île fondent une société qui vire à la barbarie. On peut donc y voir une allégorie politique, validée par le réalisateur: «Le jeunesse est aussi une métaphore de la Colombie en tant que nation. C’est un pays relativement jeune qui cherche encore son identité, et le rêve de paix est fragile et hésitant.»

Ces résonances cinématographiques et politiques hantent une œuvre qui s’avère avant tout viscérale, tirant sa puissance hypnotique de la mise en scène et de la place qu’elle accorde à la nature sauvage. Dans la brume des montagnes colombiennes, Alejandro Landes instaure d’emblée une atmosphère irréelle, quasi mythique. Un paysage de bout du monde, filmé en plans larges, où ces enfants perdus se livrent à d’étranges rituels. Puis le cadre se resserre dans la torpeur oppressante de la jungle, alors que les dissensions s’accentuent au sein du groupe.

La géographie imprime ainsi son mouvement au récit, celui d’une descente aux enfers, suivant le chemin des eaux qui imprègnent ces décors humides et boueux – l’élément liquide figurant une inexorable déliquescence. L’envoûtement tient aussi à l’ambiance sonore tropicale et aux soudaines saillies musicales orchestrées par Mica Levi. Ce film halluciné repose enfin sur le charisme fou de ses jeunes interprètes, dont les regards intenses ou hagards suffiraient à dire le drame de ces âmes damnées. – Mathieu Loewer, Le Courrier

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