Pour l'éternité

Roy Andersson, 2019, Suède/Norvège/Allemagne/France, DCP, version originale suédoise sous-titrée français, 78', 12/16 ans

Archives 2020

Description

«Pourquoi tu continues de ressasser cette histoire?», demande l’un des personnages de «Pour l’éternité» à son voisin. La question semble tout à fait méta dans l’œuvre du Suédois Roy Andersson, qui depuis «Chansons du deuxième étage», il y a bientôt 20 ans, dépeint la tragi-comédie de l’humanité. La recette reste inchangée avec ces saynètes en plan fixe, ces protagonistes blafards qui semblent à la fois à l’agonie et paraissent tout juste sortis de leur tombeau, et cet humour malaise. Le second volet, «Nous, les vivants», était peut-être plus nettement ancré dans la comédie, tandis que «Un pigeon perché sur une branche philosophait sur l’existence» était plus excentrique et surréaliste. «Pour l’éternité», avec notamment cette voix-off mystérieuse qui pose un regard qu’on imagine bienveillant, est peut-être plus tendre. Mais la drôlerie, le surréalisme et une curieuse tendresse se retrouvent à vrai dire dans chacune des pièces d’Andersson.

Des pièces, car on a ici le sentiment de voir un puzzle. Les sketchs semblent distincts, pourtant cette scène n’est-elle par rêvée par ce protagoniste dans une autre séquence? Ce vol d’oiseaux lointain en ouverture du film n’est-il pas le même que l’on aperçoit à la fin du long métrage? Tous les zombies d’Andersson sont séparés et reliés. Ils claudiquent tous dans un décor morne quand il ne s’agit pas de ruines, ils prennent soin d’une plante pourtant déjà pourrie et se débattent ensemble comme des poissons quasi-morts et sortis de l’eau. Le spectacle est-il plombant? Pas vraiment. D’abord parce qu’il y a un mystère poétique qui enrobe les films d’Andersson. On parle ici d’un gamin suédois mort à la guerre… mais de quelle guerre s’agit-il? A quelle époque se déroule le film? Pourquoi ces gamins révisent dans des manuels déjà jaunis, avec un transistor qui semble déjà vieux à leurs côtés? Et à qui appartient cette voix «qui a vu»?

Ensuite parce que le film est drôle, très drôle. «Avez-vous essayé de vous satisfaire d’être en vie?», lance t-on à un homme au bout de sa vie. Andersson est un maître de l’humour noir qui peut faire chanter des tralalas à ses antihéros en pleine atmosphère d’apocalypse. Il y a ici un sens de l’absurde qui fait merveille et que le réalisateur n’a, à vrai dire, pas toujours à pousser dans ce monde sans aucun sens où il y a une heure précise pour être triste. «On n’a pas le droit d’être déprimé?», demande t-on en grinçant des dents? On pourrait craindre la formule, mais Andersson est plus libre qu’on ne l’imagine – ses saynètes, par exemple, ne s’achèvent pratiquement jamais par une chute, et leur construction, grâce à leurs différentes respirations, n’est finalement pas si mécanique.

Comme d’habitude, visuellement, le réalisateur accomplit un travail d’orfèvre. On se pince pour croire que pratiquement tout a été tourné en studio. Le sens du détail d’Andersson reste hallucinant, avec notamment un travail remarquable sur la composition du cadre et la profondeur de champ. C’est cette précision qui donne le tempo comique de «Pour l’éternité». Et qui met en valeur ses fissures: cette fêlure glaçante lorsque le réalisateur suit le cortège interminable d’une armée de vaincus, ou cette rupture d’une étonnante lumière lors de la danse impromptue de trois jeunes filles. – Nicolas Bardot, Le Polyester