Réveil sur Mars

Dea Gjinovci, 2020, Suisse/France, DCP, version originale albanaise et suédoise sous-titrée français, 75', 16/16 ans Formulaire de réservation

ME à 20:30 | SA à 16:45 | MA à 18:45

Description

«Est-ce que tes parents voient la différence entre quand tes sœurs sont éveillées et quand elles sont endormies?» C’est au cœur d’une très attachante famille de réfugiés kosovars roms en attente de régularisation en Suède et aux prises au quotidien avec une bien étrange maladie, le «Syndrome de Résignation», que la cinéaste suisso-albanaise Dea Gjinovci a ancré son premier long métrage, le documentaire «Réveil sur Mars», dévoilé en première mondiale en compétition au 19e Festival de Tribeca.

Nous sommes à Horndal, une petite ville de campagne pétrifiée dans l’hiver suédois, à 200 km au nord-ouest de Stockholm. Dans l’appartement des Demiri, c’est une atmosphère de «belles au bois dormant» qui règne. Les filles aînées, Ibadeta et Djeneta reposent sur leurs lits ou dans des fauteuils roulants, dans un état apathique que les médecins comparent à une hibernation («elles consomment très peu d’énergie, le cœur bat plus lentement»), attribuant le phénomène à de violents traumatismes psychologiques. L’existence quotidienne du reste de la famille tourne entièrement autour des deux adolescentes, alimentée par l’espoir qu’elles se réveillent et par celui d’obtenir enfin l’asile politique, leur demande ayant déjà été rejetée deux fois.

Au fil d’un récit sur plusieurs saisons dans cette ambiance de temps suspendu, la réalisatrice va progressivement éclaircir les mystères de cet état léthargique étrange («les premiers enfants apathiques sont apparus en Suède au début des années 2000. C’était une situation médicale à laquelle nous n’avions jamais été confronté»), ses causes (quand et comment Ibadeta et Djeneta ont été affectées – «on pensait tous qu’elle allait mourir») et ses répercussions sociales («certains prétendaient que les enfants faisaient semblant d’être malades et, rapidement, de médical le sujet est devenu politique»).

Cependant, le film ne cherche jamais, et c’est l’une de ces grandes qualités, à basculer dans la thèse médicale ou le dossier sur l’immigration. Les souvenirs douloureux du Kosovo qui ont poussé les Demiri à l’exil sont évoqués de façon elliptique et suggestive et les espérances angoissées des démarches administratives en vue de l’obtention d’un permis définitif de résidence rythment certes la narration en s’imbriquant dans le sujet de la quête d’un avenir pour la famille, mais elles sont toujours centrées sur la question affective majeure: l’espoir du réveil des deux filles.

Touchant portrait de l’amour familial, «Réveil sur Mars» fait aussi la part belle à Furkan, le plus jeune des deux fils, un gamin sympathique d’une dizaine d’années plongé dans cet environnement très particulier, dans ces préoccupations de «grands», mais qui n’en demeure pas moins un enfant de son âge, s’évadant à l’extérieur et récupérant des pièces détachées dans un casse auto afin de construire une fusée pour rallier l’espace et d’autres planètes.

Utilisant avec un bon dosage les très beaux panoramas de la campagne suédoise et le dynamisme de Furkan pour faire respirer son film en dehors des intérieurs ralentis chez les Demiri, Dea Gjinovci réussit parfaitement ces débuts dans le long avec ce documentaire empathique bercé par l’immobilité de ces protagonistes endormies à qui l’on chuchote «quand vous sortirez, vous sentirez la brise, le parfum des fleurs, des feuilles, de la terre, la fraicheur sur votre peau». – Fabien Lemercier, Cineuropa

Images @ First Hand Films