Vortex

Gaspar Noé, 2021, France, DCP, version originale française, 142', 16/16 ans

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Description

Un grand bravo à Gaspar Noé, si vous le voulez bien. Tandis que l’Histoire du cinéma, avance à grands pas, d’année en année, même le meilleur des metteurs en scène semble être affecté par un type d'anxiété particulier lié à ses influences. Noé a ses influences (et il les inscrit parfois dans ses films en grosses lettres apparaissant au milieu de l'écran), mais à chaque fois qu'il s'exprime dans un film, on y sent un élan concerté de réinventer ce que le cinéma peut faire sur le plan formel, et la manière dont l’élasticité du médium peut exalter notre perception de différents sujets. Il est passé du sexe au crime à la danse et ici, dans «Vortex», voilà qu'il nous parle de la mort, plus spécifiquement des morts tristes et solitaires qu'on réserve aux personnes âgées dans le «monde développé» et ici, comme dans «Amour» de Michael Haneke, il examine la manière dont l'amour peut s'entrelacer et se débattre avec le grand point final de la vie.

Si Haneke a fait incarner les personnages de sa passion par deux comédiens de premier plan (Emmanuelle Riva et Jean-Louis Trintignant), les choix de casting de Noé donnent à son film plus de naturalisme et de quotidianité. Le couple en souffrance qu'on suit (leurs noms ne sont pas précisés) réunit Dario Argento, le maître du giallo, peu connu pour ses prestations devant la caméra, et Françoise Lebrun, célèbre pour avoir commencé en tant qu'actrice non-professionnelle dans «La Maman et la putain» de son compagnon Jean Eustache. Noé a également fait le choix, intelligent et original, de ne pas essayer du tout de faire allusion aux parcours de ses comédiens dans le monde du cinéma – mis à part le fait qu'Argento a bel et bien été critique avant d'avoir le succès qu'on sait comme cinéaste.

Le cinéma est un outil formidable de dissociation: avec un goût et une maturité stupéfiante, Noé a recours à la stratégie formelle simple du split screen pour rendre ce combat qu'est la fin de vie. Dans un format 2.35:1, chacun des deux acteurs occupe sa perspective de la caméra, et ils sont séparés par un espace noir au milieu de l'écran, ce qui fait l'effet d'être devant des écrans de vidéo-surveillance céleste. Au début, le personnage d’Argento est plus auto-suffisant, et il parvient même à s’attaquer à un travail important: la rédaction d'un ouvrage ambitieux sur la relation du cinéma à l’inconscient. Le personnage de Lebrun, anciennement psychiatre et psychanalyste, est frappée par la tragique ironie du fait que son esprit est en train de sombrer complètement dans la démence. C’était une tâche captivante mais risquée que de simuler les symptômes d’une maladie neurodégénérative, mais elle y parvient tellement bien que d'assister à cela vous hante autant que n'importe quelle autre chose qu'on a pu voir dans la filmographie de Noé jusqu'ici.

Le couple a un fils, Stéphane (Alex Lutz, surtout connu pour ses rôles comiques), qui plaide (comme beaucoup d'enfants de parents âgés l'ont fait et le font de nos jours) pour qu'ils aillent vivre dans une maison de retraite médicalisée, et on voit bien qu'il a leur intérêt à coeur (ce n'est pas une manoeuvre pour se défaire de sa responsabilité, ou les reléguer hors du monde). Il serait injuste d'en révéler davantage, mais on peut observer que Noé s'appuie ici sur une dynamique dialectique particulière: qu’est-ce qui va survivre de ce lien déjà en train de se faner, l’esprit ou le cœur, la catastrophe ou le pragmatisme? (comme il le suggère d'ailleurs lui-même au moyen d'un intertitre qui apparaît à l'écran vers le début du film).

Ici, la violence est entièrement interne. L'angoisse est intérieure, mais la grâce est permanente. On pourrait faire des comparaisons littéraires, surtout avec l'obsession de Beckett pour les appareils d'enregistrement et la répétition, mais ce sont les derniers mots d'Hamlet à la fin de la pièce de Shakespeare qui résonnent le plus: «Le reste est silence». Les premières paroles d'Argento et Lebrun dans le film, sur la terrasse de leur taudis bohème parisien, font l'effet d'être l'invention éloquente d'un grand dramaturge eux aussi, ou bien quelque chose qui viendrait de la troisième saison de Twin Peaks de David Lynch : «La vie est un rêve, n'est-ce pas?»  – «Oui, un rêve dans un rêve.» –  David Katz, Cineuropa

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