«Trois hivers» s’ouvre par un plan montrant un rocher monumental. Contemplé attentivement, celui-ci paraît logé dans la nature depuis toujours, comme une météorite tombée du ciel. Une brume mystérieuse l’entoure et on est presque surpris de voir circuler quelques voitures au second plan – que peuvent-elles bien faire dans ce cadre atemporel? Le film se déroule dans un décor éternel d’Heidi, recherché par les équipes de tournage indiennes pour y chanter un amour forcément exalté. Un lieu isolé, un peu hors de tout, presque hors du réel.
Mais c’est pourtant le quotidien tangible de fermiers des Alpes suisses que Michael Koch dépeint, avec ses saillies de vache et son labeur physique. Là encore, du réel s’échappent des figures surréelles: Anna et Marco, qui semblent emprunter aux figures d’un conte mettant en scène une princesse et un ogre. Un choeur mystérieux chante l’histoire, et Koch met en scène un stimulant dialogue entre une retenue austère, au sol, et une dimension spirituelle, quelque part dans les nuages.
Lors d’une scène absolument saisissante, des meules ont l’air de tomber du ciel comme des ovnis, perçant une brume épaisse comme un mur. Puis le brume se dissipe, un câble se dessine, et derrière se dévoile une échelle géante, l’immensité au loin des montagnes. C’est ainsi que le film fonctionne, liant l’infiniment petit et les secrets d’une maisonnette à un drame géant qui fait vaciller des vies. Si la nature est superbe, le format de l’image n’exalte pas une beauté de carte postale et se concentre sur les protagonistes. Le scénario bascule très habilement d’un personnage principal à l’autre, un fermier poupin et taiseux comme sorti d’un Bruno Dumont, à son épouse, sonnée par le tragédie puis par sa propre culpabilité.
Dans son premier long métrage, «Marija», Koch racontait le drame social d’une femme bien décidée à reprendre les commandes de sa vie. Le vertige de «Trois hivers», c’est que les protagonistes n’ont plus les commandes de rien: de la maladie ou de ses conséquences. Il y une grâce dans le traitement du cinéaste qui ne vient pas condamner ses personnages deux heures durant. C’est plutôt un sentiment d’empathie dans une situation que seul le couple peut comprendre et dont Koch nous fait partager l’intimité avec profondeur et sensibilité. Lors d’un plan marquant de son long métrage, Anna et Marco sont installés dans un téléphérique, là encore au cœur des brumes – vers des cimes qui paraissent invisibles. – Nicolas Bardot, Le Polyester
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