Avec «99 Moons», le réalisateur suisse Jan Gassmann prolonge en quelque sorte le discours sur l’intimité et les relations, commencé avec son film précédent, «Europe, She Loves», qui mettait en scène quatre couples éparpillés dans quatre villes européennes différentes. «99 Moons», projeté en première mondiale à l’ACID du 75e Festival de Cannes, abandonne la forme documentaire pour raconter l’histoire de Bigna et Frank, deux trentenaires, confrontés à une inattendue et bouleversante attirance entre eux.
Bigna, une scientifique spécialisée dans les tsunamis, est sur le point de partir au Chili pour un programme de recherche dont elle rêve depuis longtemps. Frank, c'est un hipster typique dont les principaux intérêts sont les fêtes, les discussions jusqu’à l’aube avec les amis et les paradis artificiels. Au-delà de leurs styles de vie, ce qui semble les différencier, mais en fin de compte les rapproche irrésistiblement, c’est leur conception du désir et du couple.
Si Bigna a besoin d'organiser dans les moindres détails ses aventures d'un soir, qui se déroulent comme des jeux de rôle entre inconnus dans lesquels elle se transforme en dominatrice impitoyable, Frank semble emprisonné dans son rôle d'homme cisgenre apparemment ouvert mais en réalité étouffé par les clichés qui impliquent la domination et la suprématie de la pénétration. Il lui est difficile d'admettre qu'il éprouve du désir et de l'excitation à travers ces jeux de rôles dans lesquels il assume (volontairement) une position subordonnée. Cette prise de conscience douloureuse et déstabilisante à certains égards l'amène à remettre en question tout un système de valeurs: l’exaltation du couple hétérosexuel et monogame, l’idée d’une masculinité virile et conquérante. Malgré son apparente ouverture d'esprit, l’abandon des rôles de genre classiques s'avère beaucoup plus difficile que ce qu’il croyait. Bigna va de son côté devoir revoir les règles qu'elle s'est fixées et la possibilité de les enfreindre au nom d’une attirance qu'il serait limitant de définir comme de l’«amour».
Jan Gassmann met en scène l'histoire de ces deux personnages dans des chapitres faits de rencontres et d'abandons qui se succèdent sur plus de huit ans. Huit ans pendant lesquels les remises en question sont sans fin, accompagnées d’un désir qui semble ne pas vouloir s’éteindre et qui se transforme en véritable obsession. Bien que les deux tentent, séparément et ensemble, d'emprunter la voie de l'hétéronormativité, celle-ci semble invariablement mener à une impasse. Ce qui les unit au contraire semble intimement lié à une liberté et une singularité qui ne peuvent (et ne veulent) pas être bridées, quelque chose d'unique qui n'appartient qu'à eux et que Gassmann n'hésite pas à mettre en scène à travers des scènes de sexe directes et frontales qui bousculent nos habitudes de spectateurs.
Qu’est-ce qui différencie sexe et amour? Est-il vraiment possible de dicter des règles communes pour chaque couple? Et si les injonctions et l’impossibilité de choisir librement ses propres règles étaient précisement la cause de la ruine? Telles sont quelques-unes des questions auxquelles Gassmann tente de répondre en mettant à mal l'équilibre qui définit notre société elle-même. – Giorgia Del Don, Cineuropa
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