Belle

Mamoru Hosoda, 2021, Japon, DCP, version originale japonaise sous-titrée français et anglais, 122', 8/12 ans

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Description

Mamoru Hosoda (né en 1967 à Toyama) s’affirme actuellement comme l’un des plus intéressants réalisateurs de série d’animation, lisait-on en 2010 dans «Manga Impact!», ouvrage accompagnant une vaste rétrospective dédiée à l’animation japonaise à Locarno. «Son film le plus important» était alors «La Traversée du temps» (2006), primé au Festival d’Annecy, tandis que «Summer Wars» (2009) était «encensé par la critique dans le monde entier». Le cinéaste réalisera encore «Les Enfants Loups», «Ame & Yuki» (2012) et «Le Garçon et la Bête» (2016), avant d’accéder enfin à la reconnaissance internationale avec «Miraï, ma petite sœur» (2018), sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs cannoise et nommé à l’Oscar du meilleur film d’animation.

Présenté en sélection officielle sur la Croisette, puis sur l’écran géant de la Piazza Grande à Locarno, «Belle» sonne aujourd’hui l’heure de la consécration. Après quatre longs métrages distribués en catimini (importés par des exploitant·es cinéphiles), celui-ci bénéficie d’une sortie en bonne et due forme – en v.o. et dans une version française où la chanteuse et comédienne Louane prête sa voix à son héroïne.

C’est donc un cinéaste accompli qui part à la conquête du grand public, avec une œuvre qui atteint la quintessence de son cinéma, à la fois intimiste et spectaculaire, fantastique et bien ancré dans la réalité contemporaine. A l’instar de «Summer Wars», ce nouveau long métrage navigue entre monde réel et virtuel. Le récit débute à la manière d’une chronique naturaliste dans une petite ville de montagne. Adolescente solitaire et complexée, Suzu vit là avec son père et ne chante plus dans le chœur local depuis la mort accidentelle de sa mère. Sa vie bascule le jour où elle rejoint le monde virtuel de U (comme you, «toi» en anglais), qui promet de transformer ses utilisateur·trices en une «meilleure version d’eux-mêmes». Dans la peau de son avatar baptisé Belle, Suzu y retrouve sa voix et devient rapidement une icône musicale adulée dont les concerts sont suivis par cinq milliards de personnes.

Emerveillé, on découvre avec elle cet univers parallèle époustouflant, où Belle survole une cité futuriste sur le dos d’une baleine équipée de haut-parleurs! Virtuose de l’animation (traditionnelle autant que numérique), Mamoru Hosoda sait exploiter comme personne le potentiel infini de cet art, avec son imagination pour seule limite. Le cinéaste, qui avait déjà fait ses preuves sur «Summer Wars», excelle dans la création de mondes virtuels foisonnants et vertigineux, dans lesquels le public ébahi se retrouve ­happé. Sans renier l’héritage du Studio Ghibli (dans les séquences réalistes), il explore de nouveaux territoires et fonde une esthétique inédite qui marie poésie du dessin et prouesses des algorithmes.

Alternant échappées virtuelles et scènes de la vie quotidienne, l’intrigue se corse lorsque Belle rencontre la Bête, mystérieuse créature qui sème la zizanie dans le monde de U. Sous son apparence effrayante, Suzu devine une âme meurtrie… Et le public reconnaît aussitôt une relecture de «La Belle et la Bête», à des lieues du classique de Disney. Fascinée, Suzu aura dès lors à cœur de découvrir l’identité de ce monstre mal-aimé, traqué par la communauté de U qui veut le démasquer. Mais pour lui venir en aide, l’adolescente introvertie devra elle aussi trouver le courage de se dévoiler… Le récit ini­tiatique s’achève ainsi par un retour au réel, dans un dernier acte qui con­ju­gue thriller et comédie romantique.

Si sa splendeur visuelle impressionne, «Belle» se distingue aussi par l’intelligence de son propos. Souvent convoqués pour en dénoncer les dérives, réalité virtuelle et réseaux sociaux sont présentés ici sous un angle plus optimiste. C’est à travers son avatar que Suzu regagne confiance en elle, assume qui elle est, et parvient à s’ouvrir aux autres. «Même si les outils et les modes de communication évoluent, ce que nous avons hérité de génération en génération perdurera… Du moins, c’est ce que j’espère: un monde qui évolue à une vitesse fulgurante, où les fondamentaux de l’existence humaine restent immuables», résume le réalisateur dans sa note d’intention. Une profession de foi à laquelle on veut croire. – Mathieu Loewer, Le Courrier

Images © Wild Bunch Distribution, Filmcoopi