Dans les années 1960, Ernest Cole fut l’un des premiers à documenter l’apartheid et à exposer la violence systémique en Afrique du Sud. Contraint à l’exil à New York, il aurait pu tomber dans l’oubli, mais un incroyable concours de circonstances a permis une résurrection: en 2017, on retrouve 60’000 de ses négatifs dans le coffre d’une banque suédoise. Une œuvre colossale et porteuse d’une mémoire collective cruciale refait surface et Raoul Peck la ravive dans «Ernest Cole, Lost and Found».
Primé à Cannes, le film retrace le parcours du photographe en reprenant sa parole à la première personne. De son enfance dans un township, où il prend ses premiers clichés à 8 ans, à son engagement pour «Drum Magazine», Ernest Cole façonne son regard humaniste et capture l’injustice en déclenchant son appareil à la volée. En 1967, il publie ses clichés dans «House of Bondage» («La Maison des servitudes»). Le livre est interdit et pousse Cole à partir aux États-Unis, où il est réduit à devenir le photographe noir de la précarité des Afro-Américain·e·s. Souffrant de l’exil et de la pauvreté, il ne cessera pourtant de photographier, comme le dévoilent ses images inédites si puissantes. Raoul Peck nous invite à les parcourir en parallèle à de précieuses archives qui éclairent l’histoire et le présent des discriminations. La mosaïque immersive qui en résulte ranime un artiste tout en révélant la terrifiante permanence des injustices raciales – depuis l’apartheid et les pépites d’or sud-africain qui enrichissent la Suisse jusqu’à «Black Lives Matter».
«Quand on souhaite raconter l’histoire d’artistes noirs qui ont été peu visibles de leur vivant, c’est souvent le point de vue des chroniqueurs occidentaux qui s’exprime. En général, ils sont bienveillants mais avec une note de paternalisme ou une interprétation liée à leur propre vision eurocentrique du personnage, du pays, de l’état du monde... Ça a toujours été un problème pour moi, et ce depuis mon premier film. Je fais des films pour recréer justement une mémoire, développer une narration différente de l’histoire officielle et académique et aussi déconstruire ce regard «extérieur». En réaction à cela, mon approche est de varier les sources, rencontrer les familles, les amis proches, bref, m’appuyer sur le récit oral lorsqu’il énonce des «faits» et non des anecdotes. Comme j’avais en effet décidé qu’Ernest raconterait sa propre histoire, il me fallait des faits et événements fiables, directs pour trouver le véritable Ernest Cole.» – Raoul Peck
Festivals & prix
- Cannes 2024: Œil d'or du meilleur documentaire
- Césars 2025: nommé pour le meilleur documentaire
- Visions du Réel 2025: Raoul Peck, invité d'honneur
Images © trigon-film