Decision to Leave

Park Chan-wook, 2022, Corée du Sud, DCP, version originale coréenne et chinoise sous-titrée français, 139', 16/16 ans

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Description

Park Chan-wook s’est imposé depuis plus de dix ans comme le digne représentant d’un cinéma sud-coréen à la fois exigeant et terriblement populaire, ses œuvres atteignant systématiquement plusieurs millions d’entrées dans son pays natal. Sa réalisation unique et inénarrable est reconnaissable entre mille, n’hésitant pas à sublimer la fureur pour plonger dans les tréfonds des âmes torturées de ses personnages, bien que depuis son premier film en langue anglaise avec «Stoker», la symbolique de la violence y soit plus étouffée. Récompensé à deux reprises au Festival de Cannes (Grand Prix en 2000 pour «Old Boy» et Prix du Jury en 2009 pour «Thirst»), le cinéaste est cette année reparti avec le Prix de la mise en scène pour «Decision to Leave», dont le titre nébuleux laissait présager un polar noir sensuel, s’inscrivant dans la droite lignée du thriller érotique des années 90, «Basic Instinct» en tête, et la figure désormais usée jusqu’à la corde de la femme fatale. C’est tout le projet mené d’une main de maître par Park Chan-wook, celui de cambrioler un genre cinématographique surreprésenté, en retirer tous ses artifices et l’élever vers des sommets de virtuosité encore jamais atteints dans son cinéma. De là, à partir d’une prémisse à première vue très classique, Park Chan-wook va faire étalage de toute son inventivité visuelle et picturale, non pas pour verser dans la sur-esthétisation, mais au contraire retranscrire à l’image les sentiments de ses personnages hors du temps, comme dans l’expectative de quelque chose qui ne se produira jamais. Dans ce qui n’était qu’une enquête d’investigation soporifique, «Decision to Leave» bascule d’un revers de main dans la romance funèbre et sibylline dans laquelle le spectateur est plongé dans une toute autre réalité.

Ce qu’il y a de plus fascinant dans «Decision to Leave», c’est sa capacité à mêler le thriller atmosphérique aux codes de la romance noire, où l’enquête policière orchestre sans cesse des séquences de séduction en apnée, comme cette scène d’une drôlerie désarmante où l’interrogatoire de la suspecte se transforme en dîner romantique, tandis qu’en parallèle les moments d’attraction passionnée viennent fomenter les soupçons et faux préjugés sur cette suspecte aux yeux impénétrables. Par la même occasion, Park Chan-wook se réapproprie la mythologie de la femme fatale, maintes fois traitée au cinéma, parfois avec une misogynie crasse, et la transforme en figure moderne, indépendante du personnage masculin, n’hésitant pas à réécrire perpétuellement sa vie au travers de ses témoignages dans le seul but de survivre et continuer sa relation fiévreuse et frénétique avec l’enquêteur incarné par Park Hae-il. En cela, soulignons la performance exceptionnelle de Tang Wei dans la peau de Seo-rae, la véritable héroïne du film, qui déroute autant qu’elle fascine, comme l’atteste une scène enneigée à la lisière de l’onirisme où un plan-séquence subjectif vient questionner une nouvelle fois le spectateur sur la double nature du personnage féminin.

En définitive, «Decision to Leave» s’apparente à une mosaïque cinégénique qu’il est difficile d’appréhender au premier abord tant la maestria narrative de l’ensemble peut décontenancer le spectateur le plus averti. Park Chan-wook poursuit ici le geste de cinéma qu’il avait déjà initié avec son chef-d’œuvre «Mademoiselle», en composant une toile de maître d’une extrême précision, où chaque rupture de ton fait sens dans une diégèse qui bouscule nos repères habituels. «Decision to Leave», c’est accepter de se laisser emporté corps et âme dans un mouvement lyrique d’une beauté indescriptible, comme une lame de fond impétueuse, sur un amour impossible, celui de deux êtres qui ne peuvent se quitter. – Julien Rocher, aVoir-aLire.com

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